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1.02.2014

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n grand nombre d’enfants consultent en pédopsychiatrie du fait de troubles du comportement de type agitation, instabilité psychomotrice, passages à l’acte auto- ou hétéro-agressif, souvent associés à un échec scolaire, malgré une intelligence dite “ normale ”. À partir de symptômes visibles et apparemment communs, ils peuvent êtres regroupés dans un tableau clinique identique derrière lequel se profile l’idée d’une causalité directe et univoque qui a des conséquences sur les perspectives thérapeutiques. Les orientations politiques dans le domaine social et médical semblent de plus en plus régies par un point de vue économique. La recherche d’une rentabilité rapide et perceptible quantitativement peut pousser les pouvoirs publics à favoriser des systèmes thérapeutiques qui privilégient le court terme et le visible. Or la pathologie bruyante de ces enfants met à mal leur environnement qui peut être tenté d’y répondre en supprimant le symptôme par le recours à des thérapies médicamenteuses. Pour apaisant qu’il soit, ce type de traitement risque de laisser de côté la fonction de signal du symptôme et évacuer du même coup la dimension des interactions avec le milieu, dimension fondamentale chez l’enfant.

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Ces perspectives thérapeutiques découlent d’un choix classificatoire qui privilégie le point de vue descriptif sur la recherche d’une compréhension plus globale des troubles, tenant compte du point de vue dynamique et de la dimension inconsciente des symptômes. Toute indication thérapeutique relève d’un diagnostic différemment établi par les cliniciens selon leur référence à une nosographie. En fonction de l’orientation théorique et de la référence à une classification spécifique, plusieurs diagnostics peuvent êtres proposés pour cette population sans toutefois toujours correspondre à des diagnostics différentiels : « Troubles des conduites et du comportement », « Hyperactivité », « Pathologie limite », « Prépsychose », « Psychopathie »... Ces différents diagnostics, provenant de champs conceptuels distincts mais qui peuvent présenter des zones de recoupement, ne rendent pas compte de la diversité des fonctionnements psychiques de ces enfants. L’examen des classifications en vigueur chez l’enfant permet de dégager trois types d’orientation, selon que l’accent est porté sur le symptôme, la dimension structurelle ou l’organisation psychique. Des classifications symptomatiques comme la CIM-10 (C. B. Pull et al., 1993) ou le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1996) découlent une multiplicité de catégories dans lesquelles on trouve le diagnostic très en vogue d’ « Hyperactivité » ainsi que celui de « Trouble des conduites et du comportement ». Ces classifications semblent régies par le mécanisme d’isolation – isolation du sens, des affects, des interactions avec le milieu – au profit d’une centration sur la notion de déficit neurologique, non encore validé à ce jour. L’enfant seul est en cause, ce qui renforce les fantasmes de réparation et de comblement. Les classifications d’orientation psychodynamique, comme la « Classification française de troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent » (R. Mises et coll., 1988, 2002), vont plus dans le sens d’une compréhension globale des troubles. Elles tentent cependant de grands regroupements, au caractère potentiellement exclusif, derrière un concept critiquable tout particulièrement chez l’enfant : celui de « structure ». Ce concept contient en effet un risque de fixité préjudiciable en clinique infantile, au regard de la mobilité et de l’évolutivité généralement constatée. Les orientations psychanalytiques, qui ne proposent pas à proprement parler de classification, accordent une place importante à la temporalité, en particulier à travers la notion de « processus » et l’intégration dans le diagnostic de la dimension pronostique. C’est le cas pour la définition de la prépsychose (R. Diatkine, 1969) ou la notion de risque psychopathique (C. Balier, G. Diatkine,1995). L’examen de cette entité controversée chez l’enfant met en évidence la nécessité d’une analyse contingente de la dimension intra-psychique et de l’environnement. Mais surtout, il se dégage de ce type d’approche des perspectives de compréhension en termes de coexistence de secteurs de fonctionnement, perspectives reprises dans cet article.

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La focalisation sur des comportements manifestes et dérangeants ne rend pas compte d’un diagnostic précis, lié à une entité clinique et psychopathologique univoque. De plus, le but thérapeutique ne peut se réduire à la disparition symptomatique dans une visée d’apaisement pour l’enfant mais aussi et surtout pour la société. Une recherche (A. Cohen de Lara, 1998) menée au sein d’un internat thérapeutique spécialisé dans la prévention de la délinquance et de la psychopathie à l’âge adulte a permis de montrer la diversité des organisations psychopathologiques de ces enfants, organisations complexes et en constante évolution souvent en fonction de l’environnement. Ces enfants présentaient tous des troubles des conduites et du comportement et étaient donc regroupés, dans les faits, pour partie en fonction d’une symptomatologie commune. Partie visible de l’iceberg, ils donnaient cependant à entendre, derrière le bruit de fond, des souffrances individuelles liées à des histoires personnelles souvent très traumatiques et toutes singulières. Des traitements individuels différenciés leur étaient ainsi proposés malgré des similarités certaines, ce qui justifie une prise en charge globale commune par une équipe pluridisciplinaire (J. C. Arfouilloux, G. Diatkine, A. Fréjaville, A. N’Guyen, 2001)[2] 
[2] C’est à ce travail qui était réalisé par...
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, incluant un travail avec les familles. L’intérêt de cette modalité thérapeutique est de tenter de concilier l’approche individuelle et groupale de troubles complexes qui touchent à la fois les dimensions intra-psychique et interindividuelle.

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À travers l’exposé d’un cas clinique d’une enfant agitée et à risque d’évolution psychopathique, je tâcherais de présenter quelques particularités du fonctionnement psychique de ces enfants. Ces particularités sont saisies par le biais d’observations cliniques et du bilan psychologique comprenant des épreuves projectives (Rorschach et TAT). Cette méthodologie permet de repérer les différents secteurs de fonctionnement qui coexistent au sein de la psyché et dont les prépondérances respectives orientent le mode de fonctionnement, le diagnostic et les modalités de traitement. Dans une perspective de psychopathologie psychanalytique, l’organisation psychopathologique est analysée ici à travers le prisme du complexe d’Œdipe dont les différents points constituent des axes d’observation du fonctionnement psychique global.

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